LA DAME COUCHEE
LA DAME COUCHEE
Sandra Vanbremeersch, Seuil
Les derniers moments de Lucette Destouches, veuve Céline.
Une écriture magique. C’est ce que l’on se dit, au moins au tout début de ce livre. Extrait : « Au centre, SON lit, un tombeau de pharaonne au sommet d’un empilement de draps, de plaids et de matelas. » Nous entrons dans une chambre. L’héroïne malgré elle ne nous attend pas : « L’impératrice de Meudon porte sur son visage tous les chemins de sa vie et ceux d’une mort certaine. Creux, bosses, rivages et cascades de souvenirs dialoguent avec l’inéluctable disparition. ». C’est d’une très vieille personne, presque déjà absente, dont on nous parle ici. D’ailleurs à la fin, elle meure, son 107ème anniversaire tout juste organisé. Son vrai nom ? Lucette Destouches, veuve Céline. Un personnage à part dans l’œuvre de l’écrivain aussi maudit qu’encensé. Elle a existé à ses côtés. Elle a existé après sa disparition, opiniâtre défenderesse de l’œuvre de son époux. Mais est-ce vraiment elle que l’on vient voir lors de ses longues soirées de Meudon, la dernière résidence du couple, ou Céline lui-même pour pouvoir indirectement le célébrer, par truchement si l’on peut dire ? Est-elle le vrai sujet de ce (court) récit ou… tout juste le prétexte ?
L’auteure, Sandra Vanbremeersh, originaire de Picardie (Amiens), au tournant de l’an 2000, jeune étudiante, a l’idée pour financer ses études de faire dame de compagnie. Elle a le souvenir de sa maison familiale, de thés l’après-midi, de vieilles dames, ses grandes tantes aux mains « ruisselantes de bagues » dont elle admirait déjà (dixit) « les articulations ridées de leurs doigts tordus, les ongles bien faits plus ou moins crochus, et la peau liquide de leurs membres sans âge. ». Une annonce paraît. Elle y répond. Et forte de ses références, sans doute, et parce qu’elle ne refuse pas non plus, comme d’autres, de servir… Céline, elle est embauchée. C’était un job d’été. Elle y restera 19 ans. Jusqu’en 2019, année de la disparition de sa patronne. C’est aussi le récit d’une transformation. D’étudiante, elle devient… bonne. Une descente sociale – ce qu’elle suggère – comme une expérience en parallèle d’une déchéance physique, d’une fin de vie dont elle ne nous cachera rien ou presque.
Dans ce récit, Violette, son nom de code, livre surtout des portraits – cruels – de ses collègues, aréopage de gens de maison malgré eux mais aussi de toute de cette faune qui a accompli des années durant le pèlerinage jusqu'au fameux pavillon chic rue des Gardes. Un monde de pique-assiettes, d’avocats, d’artistes, de journalistes, d’écrivains, encouragés ou pas par la propriétaire des lieux à venir briller le temps de dîners à répétition. Séduisante au début, l’écriture devient parfois pesante à force de formules pour décrire une vie qui s’étiole, qui s’en va. On cherche longtemps l’ombre de Céline dans ses pages. On se dit que l’on ressemble parfois à ces indélicats qui ont escaladé les murs du grand jardin pour explorer la maison et parfois même dérober un souvenir. En réalité, nous lisons le quotidien d’une très vielle dame et de sa (ses) dame(s) de compagnie. L’ex-danseuse a une forte personnalité, elle règne sur sa maison, sur ses courtisans, on l’imagine capricieuse comme une diva, indifférente sans doute. C’est bien plus chic que la description d’un EPHAD de province ou de banlieue. Ça a le charme des vieilles maisons de famille. Malgré la distance que veut conserver l’auteure, il y de la délicatesse, de la nostalgie, une vraie peine sans doute une fois accompagnée dans sa dernière demeure Madame D. comme elle appelle suivie de peu par son perroquet, Toto, et le souvenir de ses chiens, de ses chats. Une fois le livre achevé, on le laisse reposer, et il finit par revenir, par s’imposer. Il laisse une trace. A conserver !